THEATRE
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Extrait 1
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Scène 4
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Les mêmes + LA VOISINE
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La porte s’ouvre à toute volée. GERMAIN se prend la porte en pleine figure et son bouquet est écrasé. Entre d’une manière assez sans-gêne une jeune femme en pyjama et riant pour n’importe quoi. Elle est handicapée de la main gauche.
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LA VOISINE
Excusez moi de vous déranger, mais c’est pas chérie. C’est la voisine du dessus.
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GERMAIN ne semble pas voir de qui il s’agit. La voisine s’incruste et va s’installer sur le canapé.
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LA VOISINE
Mais si ! L’explosion au gaz deux ans avant… suicide complètement raté, mais immeuble complètement détruit ! (Fière) C’était moi ! Je viens d’abord pour m’excuser.
GERMAIN
De m’avoir mis la porte dans le nez ou bien… ?
LA VOISINE
Non ! Le petit problème de courant de tout à l’heure, c’est à cause de moi. Mon sèche-cheveux qu’a glissé dans ma baignoire. (Elle rit puis soudainement, se met à pleurer) Malheureusement, j’n’étais pas dedans. Enfin ! J’ai prévenu l’EDF. Ils vont envoyer quelqu’un pour vérifier les plombs de l’immeuble. (Agrippant GERMAIN par le col de sa chemise) Je voulais vous voir aussi car je suis complètement désespérée !
GERMAIN
Allons, allons. Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions. Que puis-je faire pour vous ?
LA VOISINE
J’aurais besoin d’un conseil. J’envisage un nouveau suicide, mais je ne voudrais pas le rater et surtout je ne voudrais pas faire du tort aux autres locataires.
GERMAIN
(Désignant MODESTE) Je ne suis pas très qualifié pour ce genre de choses. Demandez plutôt à monsieur, c’est un tueur. Il pourra sûrement vous aider.
MODESTE
(Flatté) Un tueur ? Non, ne l’écoutez pas. Je ne suis qu’un vulgaire assassin… et encore, occasionnel.
LA VOISINE
Mais c’est déjà bien !
GERMAIN
Oui ! Et puis, il faut bien commencer. Ne faites pas votre timide.
LA VOISINE
Vous pourriez me rendre le service.
MODESTE
Je n’ai aucune raison de vous tuer, madame.
LA VOISINE
Parce qu’il faut une raison ?
MODESTE
(Vexé) Bien entendu ! Pour qui me prenez-vous ?
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Elle lui shoote un grand coup de genoux dans les testicules.
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LA VOISINE
Ça suffit comme raison ? Allez-y !
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MODESTE ne peut pas répondre, plié en deux qu’il est par la douleur.
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LA VOISINE
Je vois que je vais encore être obligée de me débrouiller toute seule.
GERMAIN
Si vous voulez, je dois avoir deux ou trois boîtes de cachets qui traînent dans la salle de bain.
LA VOISINE
Merci, mais les médicaments j’ai pas la confiance. On vomit partout et on a du mal pendant huit jours.
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Elle agrippe de nouveau GERMAIN par le col. Celui-ci se souvenant de ce qui est arrivé à MODESTE se protège les testicules en prévision d’un coup.
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LA VOISINE
Je cherche quelque chose de plus radical, de plus expéditif !
GERMAIN
(Mal à l’aise) J’ai des couteaux de boucherie dans la cuisine.
LA VOISINE
Non, Ça j’ai aussi.
GERMAIN
Un couteau électrique ?
LA VOISINE
Vous me prenez pour une dinde ! Non voyez-vous, je pensais à une… (elle fait le geste de se pendre avec une corde)… vous voyez ?
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Extrait 2
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LA LÉGISTE
Elle est encore très belle… et si chaude. La mort est très récente. Je suis sûr qu’elle n’a jamais été aussi parfaitement rayonnante et blanche. Regardez, shérif, comme la mort a su figer cet ultime instant de surprise dans son regard, comme un instantané divin et sublime. Sa bouche est encore presque palpitante de vie. Quel dommage ! Pauvre cocotte. (Elle soupire puis prend le petit doigt d’ÉVA et le porte à sa bouche)
GERMAIN
Qu’est-ce que vous faites ?
LA LÉGISTE
Mon travail.
GERMAIN
Vous n’allez quand même pas la mordre ?
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La légiste ne répond pas et se borne à sourire. GERMAIN se retourne pour ne pas voir. La légiste commence à mordiller le petit doigt. Alors, lentement, sur une musique angélique, ÉVA dégage son bras et se lève. Le médecin continu à mordre, et de plus en plus sauvagement, un doigt invisible au bout d’un bras invisible, qui appartient à un corps tout aussi invisible. Personne n’a fait attention à ÉVA pour la simple et bonne raison qu’on ne peut pas la voir. Elle est devenue immatérielle pour les vivants. Pour eux, elle est toujours dans sa position allongée au milieu du tracé de craie. ÉVA essuie son doigt, dégoûtée.
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ÉVA
Ah ! Je ne supporte pas qu’on me mordille le bout du doigt. C’est comme le lobe de l’oreille. Y’a rien de plus nul !
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En entendant cette voix, GERMAIN sursaute violemment. Apparemment, il est le seul à pouvoir distinguer ÉVA car les autres continuent comme si de rien n’était.
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GERMAIN, sans voix
Mais ? ? … je croyais que… (il désigne en tremblant le tracé de craie) Tu es… tu n’es pas ? ? …
ÉVA
Morte ? Si, je le suis. Evidemment.
GERMAIN
Qu’est-ce que tu racontes ?
ÉVA
La vérité. Tu m’as… tuée accidentellement. Ma tête a cogné le bar un peu trop fort et j’ai fait une hémorragie.
GERMAIN
Ce n’est pas possible. (Il s’approche d’elle et la touche timidement) Je suis là, à te parler, à te serrer dans mes bras…
ÉVA
Pour eux, je suis toujours allongée par terre, regarde !
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Elle montre les trois personnes affairées autour du cercle. La légiste sort quelques instruments de sa trousse.
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AUBIN
Vous n’allez pas pratiquer l’autopsie dans l’appartement ?
LA LÉGISTE
Pourquoi pas ? J’ai tout ce qu’il faut sous la main. La miniaturisation a fait d’énormes progrès, vous savez ? J’ai là (Elle désigne sa trousse) un mini laboratoire. Mais peut-être que cela vous dérange…Vous avez l’estomac fragile.
AUBIN, crâneur
Non, j’en ai vu d’autres. C’est surtout pour monsieur Germain. Un civil n’a pas l’habitude de ce genre d’opérations. D’ailleurs, il est très pâle. Mais pour nous autres de l’active, cela fait partie de la routine…cette satané foutue saloperie de routine. Pas vrai Rico ?
RICO, blanc comme un linge
On est blindé, on est blindé ! !
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La légiste prend des photos du corps et demande à AUBIN d’en prendre une avec elle, posant somme si c’était un trophée de chasse.
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GERMAIN
Mais c’est absurde !
RICO
Qu’est-ce qu’il y a mon vieux ?
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GERMAIN montre du doigt ÉVA qui se trouve à ses côtés.
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RICO
Ça va ? On dirait que vous avez vu un fantôme !
GERMAIN
Elle est là ! Vous ne la voyez pas ?
RICO
Qui donc ?
GERMAIN
Mais elle ! Éva ! Juste à côté de moi !
RICO
Inspecteur principal !
AUBIN
Oui ?
RICO
Le suspect déjante gravement.
AUBIN
Allons bon. Qu’est-ce qu’il y a ?
RICO
Il me dit que la morte elle…
GERMAIN
Elle est là !
AUBIN
Qui ?
GERMAIN, hurlant
Éva ! !
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AUBIN marque un temps pendant lequel il cherche quelle attitude adopter à l’encontre de GERMAIN.
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AUBIN
Oui, oui, en sommes oui ! Elle est là.
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Il désigne l’endroit où se trouve la légiste.
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AUBIN
Et puis là, aussi…
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Montrant d’autres points dans l’appartement.
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AUBIN
… et puis là, et encore là. Elle est partout maintenant.
ÉVA, doucement à GERMAIN
Ça ne sert à rien, tu es le seul ici à pouvoir m’entendre et me voir.
GERMAIN
Mais pourquoi ?
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AUBIN croit que cette question s’adresse à lui.
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AUBIN
Pourquoi ? Excellente question… parce que c’est son âme qui a… comment dirais-je… qui a … vous voyez ? Si vous voulez, bon ! Quand on meurt… on… on monte comment vous expliquer ? … y’a ceux qui descendent, et ceux qui montent, et donc…heu ! …
ÉVA
Tu viens de basculer sans t’en rendre compte dans un autre univers. Tu perçois l’au-delà. Sans être des nôtres, tu n’appartiens déjà plus au monde des vivants. Regarde-les ! Il te considère comme un fou, un radoteur qui parle au vent… (elle entend AUBIN) remarque, tu n’es pas le seul mon pauvre poussin.
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Pendant qu’ÉVA parle à GERMAIN, l’inspecteur, de son côté, tente de répondre à cette vaste question. Leurs deux dialogues se chevauchent sans pour autant se gêner. Voyant que GERMAIN regarde fixement dans la direction d’ÉVA, RICO se met en face de lui pour capter son regard, mais en vain.
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AUBIN, tout à sa réponse
…mais en général, on monte. C’est pour ça qu’on dit qu’on est partout… enfin, c’est ce qu’on dit…
GERMAIN, qui craque
Mais elle est là, juste devant toi, abruti ! !
AUBIN
Ah ! Ça va bien, maintenant ! Faites très attention aux phrases que vous formez avec vos mots ! Ne soyez pas malpoli en plus d’être insolent ! Rico, sur le procès verbal tu noteras que le suspect, qui est d’ailleurs beaucoup plus que suspect entre parenthèse, a eu des mots à l’endroit…envers heu ! …
RICO
À l’envers ou à l’endroit ?
AUBIN
Dans le sens que tu veux, mais qu’ils étaient adressés à un fonctionnaire assermenté.
RICO
Quoi donc ?
AUBIN
Les mots, il faut suivre !